GEOPOLITIQUE : LE NOUVEL AXE RUSSIE-LIBYE,
UN CONTREPOIDS A LA SUPERPUISANCE AMERICAINE
EN MEDITERRANEE ET EN EUROPE

 

Mouammar Kadhafi : « la présence militaire de la Russie pourrait servir de garantie de non recours à la force contre la Libye de la part des Etats-Unis »  

Contrairement à ce qu’écrivent ou croient comprendre les media occidentaux, si la Libye s’est tactiquement rapprochée des pays occidentaux dans la lutte contre l’islamisme (par ailleurs implanté et financé en Libye du milieu des années 80 au 11 septembre 2001 par les services américains et britanniques) et dans la recherche de la stabilité au Maghreb et en Méditerranée, la Libye poursuit son chemin et est, avec son allié Chavez, l’un des leaders des non-alignés en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Dans cette optique, Mouammar Kadhafi est partisan d’un monde multipolaire, d’un continent européen émancipé des USA, et recherche donc des alliés pour faire contrepoids à la puissance et à la menace des USA.

Depuis près d’un an, un Axe Tripoli-Moscou se construit dans cette optique, avec pour colonne vertébrale des accords de défense et le rééquipement de l’Armée libyenne avec des armements russes. Une perspective où Tripoli se souvient de l’aide soviétique de jadis, en ces temps difficiles où la Libye était l’une des cibles prioritaires de Washington. Et qui se combine avec la politique étrangère pro-russe de Hugo Chavez, le principal allié de Tripoli.

 

OCTOBRE 2009 : KADHAFI A MOSCOU POUR ABORDER LA COOPERATION DES DEUX PAYS

Le 31 octobre 2008, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi arrivait à Moscou pour une visite officielle de trois jours afin d'aborder le développement des relations bilatérales russo-libyennes, notamment dans le domaine militaire et technique. C’était la première visite du dirigeant libyen en Russie depuis 23 ans. La dernière visite en Russie de Mouammar Kadhafi remontait en effet à 1985, à l'époque de l'URSS.

Le président russe Medvedev avait reçu son hôte libyen dans sa résidence de Meiendorf, leur entretien s'est déroulé en tête à tête. « Je suis heureux de faire votre connaissance et de vous saluer à Moscou. J'espère que votre visite sera fructueuse. Vous être le leader reconnu du peuple libyen. Nos liens d'amitié se développent depuis plusieurs décennies », a déclaré Medvedev en saluant son hôte. « J'espère que cette visite sera utile pour nos rapports », avait indiqué de son côté le numéro un libyen.


KOMMERSANT : « LA LIBYE SOUHAITERAIT ACCUEILLIR UNE BASE DE LA FLOTTE RUSSE »

Selon le quotidien russe KOMMERSANT, le leader libyen souhaitait soulever lors de ces négociations la question de l'installation d'une base navale russe dans le port de Benghazi. « La Libye est prête à accueillir sur son territoire une base de la flotte de guerre russe », écrivait le 31 octobre 2008 KOMMERSANT.

Selon la source de KOMMERSANT, proche des préparatifs de la visite, le leader de la révolution libyenne Kadhafi avait l'intention d'évoquer au cours des négociations l' « ouverture d'une base de la flotte russe dans le port libyen de Benghazi », alors que les navires russes multiplient dernièrement leurs contacts avec ce pays.

Un détachement de la Flotte russe de la mer du Nord, composé notamment du croiseur nucléaire lourd Piotr Veliki, venait alors de réaliser récemment un séjour en Libye. L'escorteur Neoustrachimy, en route pour la Somalie, avait quant à lui fait escale dans le port de Tripoli.

« Selon le leader libyen, la présence militaire russe constituera une garantie de non agression des Etats-Unis, qui malgré de nombreux signes de dégel ne portent pas Kadhafi dans leur cœur », écrit le journal. Selon Kadhafi, la présence militaire de la Russie pourrait servir de garantie de non recours à la force contre la Libye de la part des Etats-Unis, qui ne se pressent pas d'ajouter le colonel à leur liste d'amis, malgré tous les gestes de réconciliation de Tripoli.


LE RETOUR DE LA PUISSANCE RUSSE EN MEDITERRANEE

Tout cela a un arrière plan géopolitique capital, le retour de la puissance russe en Méditerranée.

« La Méditerranée : une région cruciale à la croisée des mondes », rappelait le russe Ilia Kramnik (RIA Novosti, 10.10.2008) : « Un groupe de bâtiments de guerre de la Flotte russe du Nord comportant le croiseur lourd Piotr Veliki, le navire anti-sous-marin Admiral Tchabanenko et deux navires auxiliaires est entré en mer Méditerranée, où le navire d'escorte Neoustrachimy de la Flotte de la Baltique et le tanker Ivan Boubnov de la Flotte russe de la mer Noire l'ont rejoint. Pour la première fois depuis le démembrement de l'URSS, un groupe de navires appartenant aux trois flottes "occidentales" russes, reformation à plus petite échelle de la 5e Escadre méditerranéenne de la Marine de guerre de l'URSS, s'est réuni « à la croisée des mondes », à savoir en mer Méditerranée.

Les navires des trois flottes participeront à plusieurs exercices puis repartiront pour accomplir leurs tâches personnelles : ceux de la Flotte du Nord mettront le cap sur le Venezuela, la frégate baltique se dirigera vers la Somalie, et le tanker de la mer Noire regagnera son port d'attache après avoir fourni du combustible aux bâtiments de l'escadre ».

Pour comprendre le sens de ces manœuvres, il faut saisir l'importance que la mer Méditerranée revêt pour la flotte russe depuis plus de deux cents ans et quelles sont les tâches assignées à la flotte lors de ses déplacements dans cette région, et ce, à compter de l'époque de l'amiral Spiridov, qui triompha des Turcs lors de la Bataille de Chesmé, jusqu'à l'époque de la 5e escadre opérationnelle soviétique.


L'IMPORTANCE QUE LA MER MEDITERRANEE REVET
POUR LA FLOTTE RUSSE DEPUIS PLUS DE DEUX CENTS ANS

Ouvrons une parenthèse pour rappeler l'importance que la mer Méditerranée revêt pour la flotte russe depuis plus de deux cents ans.

Au XVIIIe siècle, lorsque des navires battant pavillon russe apparurent pour la première fois en mer Méditerranée, ceux-ci avaient pour objectif principal de détruire la flotte turque afin de l'empêcher de pénétrer en mer Noire. La destruction de celle-ci lors de la Bataille de Chesmé et le blocus des Dardanelles jouèrent un rôle important dans la guerre de 1768-1774, contribuant à la victoire de la Russie.

Les expéditions en mer Méditerranée devinrent alors pour longtemps l'une des tâches principales de la flotte. Au XIXe siècle, après la Guerre de Crimée en particulier (lorsque la flotte de la mer Noire, en vertu du traité signé à Paris, fut d'abord démantelée, puis reconstituée mais privée du droit de passage par le détroit du Bosphore et des Dardanelles), les expéditions effectuées par les navires de la Baltique étaient la seule occasion de brandir le drapeau russe dans cette région.

Outre l'effet psychologique, ces expéditions avaient également une importance pratique. « Qui tient la mer tient le commerce du monde, qui tient le commerce tient la richesse, qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même » : cette phrase de l'explorateur anglais Walter Raleigh est peut-être légèrement exagérée, mais dans l'ensemble, elle reflète la réalité. Le contrôle de la mer, qui permet de transporter librement des marchandises d'un bout du monde à l'autre et d'empêcher, si nécessaire, l'ennemi de le faire, fut un facteur important lors des deux guerres mondiales.

Et si Moscou l’avait oublié, l’arrivée de la marine américaine, au mépris des Accords de Montreux qui le lui interdisaient (la Turquie, membre de l’OTAN, ayant violé à cette occasion ces accords), devant les rivages abkhaze et géorgien, lors de la courte guerre entre Moscou et Tbilissi, en octobre 2008, déclenchée par le régime géorgien, vient encore de remettre au goût du jour cette réalité.

En temps de paix, le contrôle des mers assure au pays dominant ou à une alliance de pays des avantages considérables dans le commerce mondial. Ces derniers siècles, ce sont les pays anglo-saxons – la Grande-Bretagne puis les Etats-Unis qui l'ont remplacée dans son rôle de « Seigneur des Mers » – qui règnent sans réserve sur l'océan mondial. La Russie n'a jamais eu l'ambition de dominer les mers, mais elle a toujours cherché à entretenir une flotte de guerre capable de saper une telle prédominance.

Et c'est précisément en vue de pouvoir saper la prédominance maritime d'un ennemi éventuel que les navires russes organisent des expéditions en mer Méditerranée.

A l'époque des missiles stratégiques, des armes nucléaires et des porte-avions, la Marine de guerre soviétique restait active en mer Méditerranée afin de pouvoir, en cas de guerre, combattre et détruire les porte-avions et sous-marins lanceurs d'engins des pays de l'OTAN déployés dans cette région, qui étaient susceptibles de frapper directement le territoire de l'URSS.

A l'heure actuelle, la tension a considérablement diminué et la présence américaine en mer Méditerranée s'est beaucoup réduite. Cependant, cette région, qui représente un carrefour entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, conserve une importance critique. Etant donné que le drapeau de Saint-André (pavillon de la marine de guerre russe) apparaît de plus en plus souvent entre Gibraltar et Port-Saïd, on peut en conclure que la Russie reconstruite de Vladimir Poutine se rend également compte de son importance.


RUSSIE-LIBYE : UN RAPPROCHEMENT DE PLUS EN PLUS ETROIT

Mais revenons à notre sujet principal. Andreï Mourtazine, analysait cette visite importante de Kadhafi à Moscou pour RIA Novosti : « Après près d'un quart de siècle, le leader de la révolution libyenne Mouammar Kadhafi se rend de nouveau en Russie. Sa dernière visite à Moscou date de 1985, à l'époque de Mikhaïl Gorbatchev. Au cours de la période écoulée depuis, les rapports russo-libyens ont connu des hauts et des bas. Après l'arrivée au Kremlin de Vladimir Poutine en 2000, la Russie a déployé beaucoup d'efforts pour normaliser et développer les contacts russo-libyens. Mais les problèmes n'ont pu être réglés qu'en avril dernier, lorsque l'ancien président russe, en visite à Tripoli, a rayé d'un trait la dette libyenne de 4,6 milliards de dollars envers l'URSS en échange de contrats avantageux pour les compagnies russes. Ainsi, RZD (Chemins de fer russes) a bénéficié d'un contrat pour la construction de la voie ferrée Syrte-Benghazi (500 km). Le montant du contrat s'élève à 2 milliards 200 millions d'euros. Un mémorandum de coopération a été signé entre Gazprom et la Compagnie nationale libyenne du pétrole et du gaz. En tout, 10 accords ont été conclus dans le domaine de la coopération commerciale, économique et militaire ».

Les contrats de vente d'armes ne sont pas affichés pour des raisons compréhensibles. Mais ils seront probablement au centre des prochaines négociations. De l'avis des experts russes, le chiffre de 2 à 4 milliards de dollars peut dépasser considérablement celui de tous les contrats civils russo-libyens. A noter que les Libyens veulent acquérir des modèles d'armements russes ultramodernes, dont un grand nombre n'équipent pas encore l'armée russe. Ce sont, entre autres, les hélicoptères Ka-52 Alligator, les chasseurs Su-35, ainsi que les chasseurs MiG-29SMT et Su-30MK qui ont été très appréciés.


MODERNISER LA DEFENSE LIBYENNE POUR DISSUADER TOUTE AGRESSION

En outre, selon des sources proches de Rosoboronexport (agence d'exportation d'armes russes), les militaires libyens ont également l'intention d'acheter plusieurs batteries de systèmes de missiles de DCA S-300PMU2-2, des systèmes de missiles de DCA Tor M1, Bouk-M1-2, deux sous-marins, ainsi que des pièces de rechange pour les vieux armements soviétiques reçus par Tripoli dans les années 70 et 80.

Il convient de souligner que la Russie n'est pas le premier pays auquel la Libye achète de nouveau des lots importants d'armes. En décembre 2007, Mouammar Kadhafi s'était rendu en visite à Paris. Après les négociations avec le président français Nicolas Sarkozy, les leaders des deux pays avaient signé toute une série de contrats portant sur la livraison par la France de 14 avions de combat Rafale, de 35 hélicoptères de combat, de 6 navires militaires, de véhicules de transport blindés et de moyens de DCA. Les contrats prévoyaient également la modernisation des avions Mirage F-1 de fabrication française qui équipent depuis longtemps l'armée libyenne. Au total, les armements français pour Tripoli sont évalués à 4,5 milliards d'euros. En outre, la Libye a acheté à la France 21 Airbus pour la somme totale d'au moins 1,5 milliard de dollars pour ses lignes aériennes civiles.

Les contrats passés cette semaine à Moscou confirment cette tendance.

Ce 7 octobre, RIA Novosti annonçait que « La Russie a conclu avec la Libye cinq contrats portant sur la coopération militaire et technique bilatérale ». Selon Alexandre Mikheïev, directeur général adjoint de la centrale d'exportation d'armes russe Rosoboronexport, qui dirige la délégation russe au salon aéronautique arabo-africain LAVEX 2009, « Les contrats concernent essentiellement le matériel et les armements utilisés par les Forces terrestres et navales. Il s'agit, entre autres, de contrats prévoyant la modernisation des chars T-72 exploités par l'arme libyenne et la livraison de pièces de rechange pour l'Armée de terre et la Marine (…) Le marché libyen des armements présente une série de particularités. Pays faisant partie de la "ceinture solaire", la Libye est caractérisée par des conditions climatiques pénibles qui impliquent des exigences supplémentaires envers le matériel de guerre ».

Selon le responsable de Rosoboronexport, la partie libyenne est également intéressée par la mise en place de centres de maintenance et par la formation de spécialistes. « Les Libyens attachent une grande importance à la création d'infrastructures pour leurs ouvrages militaires. Le salon a réuni une série de sociétés russes spécialisées dans la construction d'aérodromes et de centres de maintenance », a-t-il fait remarquer, ajoutant que les militaires libyens ne souhaitaient acquérir que les armements les plus sophistiqués. Ce désir s'explique par le fait que les pays voisins, notamment l'Egypte, ont déjà doté leurs troupes de systèmes d'armes modernes.

La Russie et la France sont les principaux fournisseurs d'armes à la Libye. C'est une grande percée, étant donné qu'il y a 5 ans ce pays était en litige avec la « communauté mondiale » et que des sanctions économiques entravaient le développement normal de l'économie libyenne. Mais tout cela relève du passé.


Luc MICHEL
Président du MEDD-MCR
Mouvement Européen pour la Démocratie Directe-
Mouvement des Comités Révolutionnaires
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